Qu’est-ce que « histoire littéraire des écrivains » ? Nous désignons par ce terme un ensemble de textes, de formes esthétiques et de pratiques éditoriales, qui depuis le xixe siècle ont façonné l’idée que nous nous faisons de la littérature. L’importance de cette histoire racontée et construite par les écrivains eux-mêmes a été jusqu’ici été méconnue. Les débats sur l’histoire littéraire se sont concentrés autour des enjeux d’une discipline savante, soucieuse de reconnaissance institutionnelle et de légitimité scientifique. Ils n’ont guère prêté attention au Projet d’histoire littéraire contemporaine d’Aragon (1923), au Tableau de la littérature française initié en 1939 par Malraux, aux nombreuses préfaces, entretiens et prises de position qui rythment l’histoire des lettres, aux revues, aux collections éditoriales, moins encore aux fictions, d’Illusions perdues à Blanche ou l’Oubli, où a pris forme une histoire « indigène » de la littérature.
Le présent ouvrage veut combler cette lacune. Sans chercher à confronter les deux histoires ni à substituer l’une à l’autre, il parie sur les effets d’un décloisonnement. Il s’efforce d’être à l’écoute des acteurs ; d’identifier des discours et d’observer leur circulation ; d’être attentif aux genres, aux modes de narration, aux modèles où s’élabore un temps des lettres autre que la chronologie ou la périodisation abstraite, et une vie des lettres dont il fait ressortir la dimension collective. Il s’attache principalement à la littérature française, mais en la situant dans un réseau de transferts culturels, et en étendant l’analyse à la genèse des littératures francophones.